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Il n'y a pas d'amour heureux
Rien n'est jamais acquis à l'homme ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Qu'on avait habillés pour un autre destin
À quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux.Poète Louis Aragon (1897-1982)
Recueil : La Diane française (1944).
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Pour toujours
L'espoir divin qu'à deux on parvient à former
Et qu'à deux on partage,
L'espoir d'aimer longtemps, d'aimer toujours, d'aimer
Chaque jour davantage ;
Le désir éternel, chimérique et touchant,
Que les amants soupirent,
A l'instant adorable où, tout en se cherchant,
Leurs lèvres se respirent ;
Ce désir décevant, ce cher espoir trompeur,
Jamais nous n'en parlâmes ;
Et je souffre de voir que nous en ayons peur,
Bien qu'il soit dans nos âmes.
Lorsque je te murmure, amant interrogé,
Une douce réponse,
C'est le mot : – Pour toujours ! – sur les lèvres que j'ai,
Sans que je le prononce ;
Et bien qu'un cher écho le dise dans ton cœur,
Ton silence est le même,
Alors que sur ton sein, me mourant de langueur,
Je jure que je t'aime.
Qu'importe le passé ? Qu'importe l'avenir ?
La chose la meilleure,
C'est croire que jamais elle ne doit finir,
L'illusion d'une heure.
Et quand je te dirai : – Pour toujours ! – ne fais rien
Qui dissipe ce songe,
Et que plus tendrement ton baiser sur le mien
S'appuie et se prolonge !Poète : François Coppée (1842-1908)
Recueil : Le cahier rouge (1892).
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La chanson de l'automne
Tout suffocant
Et blême quand
Sonne l'heure
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà delà
Pareille à la
Feuille mortePaul Verlaine
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Quand les bateaux
Quand les bateaux s’en vont
Je suis toujours au quai
Mais jamais je ne pars
Et jamais je ne reste
Je ne dis plus les mots
Je ne fais plus les gestes
Qui hâtent les départs
Ou les font retarderJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je reste le dernier
À jeter immobile
Une dernière amarre
À regarder dans l’eau
Qui s’agite et répare
La place qu’ils prenaient
Et qu’il faut oublierJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je refais à rebours
Les départs mal vécus
Et les mornes escales
Mais on ne refait pas
De l’ordre au fond des cales
Quand le bateau chargé
Établit son parcoursJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je suis silencieux
Mais je vois des hauts-fonds
Dans le ciment des villes
Et j’ai le pied marin
Dans ma course inutile
Sous les astres carrés
Qui me crèvent les yeuxJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je reste sur le quaiGILLES VIGNEAULT
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Le Cygnes et sa compagne
Souvent je viens m'asseoir près de la pièce d'eau, sur le banc vermoulu que le temps fait vieillir et je peux, sans curieux, méditer à loisir, m'imprégner de beauté et jouer du flûteau.
Sans bruit il apparaît, glissant sur l'eau tranquille, chassant l'onde de ses larges palmes. Le duvet de ses flancs, comme la neige scintille. Quelle divine majesté! Quelle assurance calme!
C'est un ravissement pour l'âme et pour les yeux que de voir sur l'étang cet oiseau merveilleux avancer, ailes au vent, ainsi qu'un lent navire, pour offrir la blancheur de ses plumes au zéphyr.
Suivit de sa compagne, tous deux inséparables, ils dressent leurs long cou au dessus des roseaux, le plongent et le promènent allongé sous les eaux, comme pour y filtrer tout ce qui est mangeable.
Nageant d'une traînante et languissante allure vers la berge où les arbres abaissent leurs ramure, ils vont rechercher l'ombre que donnent les grands saules qui, de leur chevelure, caressent leurs épaules.
A l'heure où toute chose prend une teinte sombre, à l'heure où l'horizon devient un long trait rouge, alors que pas un jonc, pas une herbe ne bouge, les cygnes, comme à regret, sortent de la pénombre.
D'autres cygnes sont venu croyant l'escale heureuse. Découvrant les intrus, notre cygne coléreux, pour défendre sa belle, est tout prés à l'attaque et nage en se pressant vers le milieu du lac.
Il allonge sont cou à l'étang parallèle, furieux prend son élan toutes plumes dehors, de la surface bleue il décolle son corps et fonce, bec ouvert en déployant ses ailes.
Son agressivité fait fuir les arrivants. L'oiseau reprend alors sa royale assurance : il est cygne et de lui dépend sa descendance ! A sa compagne il doit un endroit rassurant car de son territoire il est maître, toujours.
C'est de cette façon qu'il prouve son amour et sa belle, confiante, le suit aveuglément, quelque soit les embûches et les rigueurs du temps.
Dans l'humide tiédeur, telle une orchidée noire, la nuit sauvage et belle exhale son parfum de vanille et de miel. Je ne peux que humer cette enivrante odeur qui fait que ma paresse prend largement son temps pour jouir de ce calme aux portes du néant.
C'est là tout mon désir et mon contentement: profiter du moment avant un cour exile, pour demain revenir et jouer de la flûte, tout en ayant conscience que ces instants fragiles que Nature nous offre sont bien plus d'éphémères. C'en est un vrai crève cœur!
J'ai passé le plus clair de mon temps à flâner, à regarder les cygnes se suivre et se séduire jusqu'à la nuit tombée. Je suis émerveillée par tant de grâce, de force et de beauté suprême que ces oiseaux dégagent !
Que Dame Nature est belle ! Mais il me faut rentrer. Je dois presser le pas ; mais le presser sans hâte, ne distinguant plus rien que leur plumage mat sur le velours de l'eau enchâssant des diamants.
Je suis comme subjuguée par ce spectacle rare de pouvoir contempler ces fantômes de plumes, endormis, palmes dans l'onde où sous eux se reflète la clarté de la lune " lactant " leur silhouette, dormant tête sous l'aile, entre deux océans.
N. GHIS.
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