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Quand les bateaux
Quand les bateaux s’en vont
Je suis toujours au quai
Mais jamais je ne pars
Et jamais je ne reste
Je ne dis plus les mots
Je ne fais plus les gestes
Qui hâtent les départs
Ou les font retarderJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je reste le dernier
À jeter immobile
Une dernière amarre
À regarder dans l’eau
Qui s’agite et répare
La place qu’ils prenaient
Et qu’il faut oublierJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je refais à rebours
Les départs mal vécus
Et les mornes escales
Mais on ne refait pas
De l’ordre au fond des cales
Quand le bateau chargé
Établit son parcoursJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je suis silencieux
Mais je vois des hauts-fonds
Dans le ciment des villes
Et j’ai le pied marin
Dans ma course inutile
Sous les astres carrés
Qui me crèvent les yeuxJe ne suis plus de l’équipage mais passager
Il faut bien plus que des bagages pour voyagerQuand les bateaux s’en vont
Je reste sur le quaiGILLES VIGNEAULT
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Le Cygnes et sa compagne
Souvent je viens m'asseoir près de la pièce d'eau, sur le banc vermoulu que le temps fait vieillir et je peux, sans curieux, méditer à loisir, m'imprégner de beauté et jouer du flûteau.
Sans bruit il apparaît, glissant sur l'eau tranquille, chassant l'onde de ses larges palmes. Le duvet de ses flancs, comme la neige scintille. Quelle divine majesté! Quelle assurance calme!
C'est un ravissement pour l'âme et pour les yeux que de voir sur l'étang cet oiseau merveilleux avancer, ailes au vent, ainsi qu'un lent navire, pour offrir la blancheur de ses plumes au zéphyr.
Suivit de sa compagne, tous deux inséparables, ils dressent leurs long cou au dessus des roseaux, le plongent et le promènent allongé sous les eaux, comme pour y filtrer tout ce qui est mangeable.
Nageant d'une traînante et languissante allure vers la berge où les arbres abaissent leurs ramure, ils vont rechercher l'ombre que donnent les grands saules qui, de leur chevelure, caressent leurs épaules.
A l'heure où toute chose prend une teinte sombre, à l'heure où l'horizon devient un long trait rouge, alors que pas un jonc, pas une herbe ne bouge, les cygnes, comme à regret, sortent de la pénombre.
D'autres cygnes sont venu croyant l'escale heureuse. Découvrant les intrus, notre cygne coléreux, pour défendre sa belle, est tout prés à l'attaque et nage en se pressant vers le milieu du lac.
Il allonge sont cou à l'étang parallèle, furieux prend son élan toutes plumes dehors, de la surface bleue il décolle son corps et fonce, bec ouvert en déployant ses ailes.
Son agressivité fait fuir les arrivants. L'oiseau reprend alors sa royale assurance : il est cygne et de lui dépend sa descendance ! A sa compagne il doit un endroit rassurant car de son territoire il est maître, toujours.
C'est de cette façon qu'il prouve son amour et sa belle, confiante, le suit aveuglément, quelque soit les embûches et les rigueurs du temps.
Dans l'humide tiédeur, telle une orchidée noire, la nuit sauvage et belle exhale son parfum de vanille et de miel. Je ne peux que humer cette enivrante odeur qui fait que ma paresse prend largement son temps pour jouir de ce calme aux portes du néant.
C'est là tout mon désir et mon contentement: profiter du moment avant un cour exile, pour demain revenir et jouer de la flûte, tout en ayant conscience que ces instants fragiles que Nature nous offre sont bien plus d'éphémères. C'en est un vrai crève cœur!
J'ai passé le plus clair de mon temps à flâner, à regarder les cygnes se suivre et se séduire jusqu'à la nuit tombée. Je suis émerveillée par tant de grâce, de force et de beauté suprême que ces oiseaux dégagent !
Que Dame Nature est belle ! Mais il me faut rentrer. Je dois presser le pas ; mais le presser sans hâte, ne distinguant plus rien que leur plumage mat sur le velours de l'eau enchâssant des diamants.
Je suis comme subjuguée par ce spectacle rare de pouvoir contempler ces fantômes de plumes, endormis, palmes dans l'onde où sous eux se reflète la clarté de la lune " lactant " leur silhouette, dormant tête sous l'aile, entre deux océans.
N. GHIS.
2 commentaires -
Je n'ai pas trouvé l'exacte reproduction de la comtoise.
Je vous ai mis celle-ci à la place pour vous donner une idée de l'objet...
Milly ou la terre natale
"Objets inanimés avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?..."
Si je vous disais que je n'aime pas trop me raconter serait un mensonge. J'aime à le faire à travers certains de mes poèmes: je préfère. Mais pourtant, pour simplement deux vers, Je me livre à vous afin vous confier mon amour des beaux objets et le rapport d'affection que j'entretiens avec eux. Mon mari est pareil à moi: il aime les objets anciens il aime les détourner de leur destination première pour les faire revire en les rénovant et les employé pour une déco par exemple!
Chez les sœurs, j'ai appris une phrase qu'elles répétaient souvent:
"Il n'est rien de plus beau et de plus gratifiant que de ramasser un objet qui était destiné à être jeté et détruit et de lui redonner une deuxième jeunesse pour en faire un autre usage que celui pour lequel il avait été conçu." Je trouve que c'est vrai: nous gâchons trop!Souvent, on me fait le reproche de trouver mes poèmes un peu long. Il est vrai que j'en ai certains dont la lecture prend du temps; mais juste assez pour les apprécier. Je sais aussi écrire de courtes poésies. Cela dépend de mon inspiration du moment.(Et ce ne sont pas les quelques fautes que je fais qui m'empêchent d'être inspirée! (N'est-ce pas Martine de je ne sais où!) Vous devez certainement en faire plus que moi! Mais passons...
Si dans ma vie, j'ai lu un poème qui mérite de recevoir le prix du plus long poème que je connaisse, c'est bien celui D'Alphonse De Lamartine, car depuis ma plus jeune enfance, à l'âge ou l'on comprend ce qu'on lit, deux vers de ce poème ne me quittèrent plus et depuis des années, ils sont là, rangés en bien ancrés dans un des tiroirs de ma mémoire. Ils représentent tout à fait ce que je ressent pour les objets de ma maison que je choisi et adopte sur un coup de cœur. les objets me le rendent bien! Il s'opère entre eux et moi, une attirance et par la suite, un mimétisme inexplicable... Lorsque je vais chez un brocanteur ou un antiquaire. J'y vais sans idée préconçu: et bien c'est l'objet qui se fait remarqué de moi! Je ressent une attirance pour cet objet et pas un autre... Je me dirige directement vers lui et je l'achète.Lorsqu'un objet que j'aime s'ébrèche ou se casse, je suis malheureuse et je récupère et recolle tous les morceaux de façon à ce que ça ne se voit pas trop et je le bichonne amoureusement jusqu'à ce qu'il ait retrouvé son aspect originel.
Les personnes qui me connaissent me reprochent d'avoir trop de bibelots dans ma maison. Ce ne sont pas eux qui en font la poussière que je sache! Et de plus, j'en ai besoin! Ils me tiennent compagnie! Ils m'aident à vivre et à me sentir bien chez moi... Moins seule. Pour moi, Ils ont une âme.
On peut penser, pour les gens qui aiment leur maison dénudée, épurées de tout objet, que je suis puérile, que j'ai des réactions d'enfant etc. Je leurs répondrai:
"- A chacun sa façon de vivre!"
Moi, j'aime les beaux objets anciens! Un exemple: toute petite, j'ai vu chez une de mes grand-mère que je n'ai guère connut longtemps d'ailleurs, juste le temps d'apercevoir une magnifique comtoise avant de m'en aller et de ne plus jamais avoir de contact avec elle. Je rêve d'en posséder une afin de me rappeler mes racines. Je savais que je ne pourrai jamais me la payer. Et bien, pour calmer ce manque qui 'était planté tel une épine dans mon cœur, J'ai réussi à en avoir une en miniature qui fait boîte à musique et qui donne l'heure, avec son balancier. Le jour ou je l'ai eu, je lui ai cherché une place de choix, heureuse comme une enfant qui venait de découvrir un trésor. J'entends son tic tac joyeux qui me fait un plaisir fou. Elle a trouvé sa place et me récompense en sonnant les quart d'heurs, les demi-heures et les heures. Elle ne mesure que 75 cm; mais elle belle tout en bois travaillé, ornée de dorures! Elle se plaît chez moi et j'ai plaisir à l'entendre, à l'admirer... Un jour, mon mari m'a offert cette comtoise grandeur nature. Ce fut une telle joie pour moi que j'en ai pleuré. J'ai maintenant ma comtoise et je l'entends sonner, carillonner, toutes les demi-heures, les quart d'heures et elle finit pas sommer les heures. Elle est magnifique et je l'ai attendu depuis tellement de temps!...Comprenez-moi bien! Ce n'est pas de l'envie, ni de la jalousie ce sentiment de frustration que je ressentirai jusqu'à ma mort! C'est l'absence de mes racines. Elles m'ont été volées. Mon enfance m'a été volée! Mon adolescence m'a aussi été volée! Je suis une déracinée! Reniée par ma famille , de mes grands-parents aux cousins, petits cousins et plus, parce que je suis la fille de Geneviève Delaplace, la pariât qui, pour se venger de tous ceux qui lui ont fait du mal, que ce soit la famille Cadoret ou Delaplace de Normandie, a dénoncé aux allemands ceux qui étaient des résistants, ainsi que les armes cachés dans tous les greniers des deux familles réunies. Depuis ce jour, une haine profonde pour ma mère est retombée sur moi, la fille... Ma mère est morte de mort violente. J'ai des sœur, un frères et tous les descendants de la famille Cadoret et Delaplace; mais je ne connais personne. Dans les héritages, ce qui devait revenir à ma mère à été escamoté et partagé entre ses sœurs et son frère: mon oncle André. Moi, on ne me connaît pas... Je n'existe pas. Et d'ailleurs, au font de moi, je n'en ai rien à faire! Je suis fière! J'ai crevé de faim enfants. Ils ne m'ont pas recueilli pour autant! Je suis restée un long moment à la DASS à Paris comme enfant abandonnée... Je ne leurs dois rien! Leur argent pourrit, leurs terres, leurs domaines, je n'en veux pas! En somme, j'ai payé pour les fautes de ma mère alors que je n'étais qu'une toutes petite fille et je paie encore aujourd'hui... mais ce n'est guère important!
J'ai fais ma vie sans eux et j'ai quand même pas mal réussi avec le peu de cartes que le jeux de la vie m'avais mis en mains. Je serai incinérée selon mon vœux et mes enfants, mon époux, me garderont prés d'eux car ils n'aiment pas les cimetières et moi non plus. Les souvenirs sont tenaces et ne vous lâchent pas comme ça! Les objets, eux aussi, gardent l'emprunte de son propriétaire qu'il ait été heureux ou malheureux dans son existence...
Je dirai donc, comme Alphonse De Lamartine le dit si bien dans les deux vers de cet alexandrin:
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?"...
Je vous avoue que j'ai perdu le fil à un moment donné de la poésie. Enfant, ce poème, je ne l'ai entendu qu' une fois, mais le seul vers que j'ai retenu est bien précis et je m'en suis toujours souvenu tandis que le reste des phrases se perdaient dans les méandres de ma mémoire... Son défaut, pour ma part, est sa longueur...
Bon courage mes ami(es)!
Milly ou la terre natale.
(Alexandrin: 12 pieds.)
Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie?
Dans son brillant exil mon cœur en a frémi;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami.Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour,Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?J'ai vu des cieux d'azur, où la nuit est sans voiles,
Dorés jusqu'au matin sous les pieds des étoiles,
Arrondir sur mon front dans leur arc infini
Leur dôme de cristal qu'aucun vent n'a terni!J'ai vu des monts voilés de citrons et d'olives
Réfléchir dans les eaux leurs ombres fugitives,
Et dans leurs frais vallons, au souffle du zéphyr,
Bercer sur l'épi mûr le cep prêt à mûrir;Sur des bords où les mers ont à peine un murmure,
J'ai vu des flots brillants l'onduleuse ceinture
Presser et relâcher dans l'azur de ses plis
De leurs caps dentelés les contours assouplis,S'étendre dans le golfe en nappe de lumière,
Blanchir l'écueil fumant de gerbes de poussière,
Porter dans le lointain d'un occident vermeil
Des îles qui semblaient le lit d'or du soleil,Ou, s'ouvrant devant moi sans rideau, sans limite,
Me montrer l'infini que le mystère habite!
J'ai vu ces fiers sommets, pyramides des airs,
Où l'été repliait le manteau des hivers,Jusqu'au sein des vallons descendant par étages,
Entrecouper leurs flancs de hameaux et d'ombrages,
De pics et de rochers ici se hérisser,
En pentes de gazon plus loin fuir et glisser,Lancer en arcs fumants, avec un bruit de foudre,
Leurs torrents en écume et leurs fleuves en poudre,
Sur leurs flancs éclairés, obscurcis tour à tour,
Former des vagues d'ombre et des îles de jour,Creuser de frais vallons que la pensée adore,
Remonter, redescendre, et remonter encore,
Puis des derniers degrés de leurs vastes remparts,
A travers les sapins et les chênes éparsDans le miroir des lacs qui dorment sous leur ombre
Jeter leurs reflets verts ou leur image sombre,
Et sur le tiède azur de ces limpides eaux
Faire onduler leur neige et flotter leurs coteaux!J'ai visité ces bords et ce divin asile
Qu'a choisis pour dormir l'ombre du doux Virgile,
Ces champs que la Sibylle à ses yeux déroula,
Et Cume et l'Elysée; et mon cœur n'est pas là!...Mais il est sur la terre une montagne aride
Qui ne porte en ses flancs ni bois ni flot limpide,
Dont par l'effort des ans l'humble sommet miné,
Et sous son propre poids jour par jour incliné,Dépouillé de son sol fuyant dans les ravines,
Garde à peine un buis sec qui montre ses racines,
Et se couvre partout de rocs prêts à crouler
Que sous son pied léger le chevreau fait rouler.Ces débris par leur chute ont formé d'âge en âge
Un coteau qui décroît et, d'étage en étage,
Porte, à l'abri des murs dont ils sont étayés,
Quelques avares champs de nos sueurs payés,Quelques ceps dont les bras, cherchant en vain l'érable,
Serpentent sur la terre ou rampent sur le sable,
Quelques buissons de ronce, où l'enfant des hameaux
Cueille un fruit oublié qu'il dispute aux oiseaux,Où la maigre brebis des chaumières voisines
Broute en laissant sa laine en tribut aux épines;
Lieux que ni le doux bruit des eaux pendant l'été,
Ni le frémissement du feuillage agité,Ni l'hymne aérien du rossignol qui veille,
Ne rappellent au coeur, n'enchantent pour l'oreille;
Mais que, sous les rayons d'un ciel toujours d'airain,
La cigale assourdit de son cri souterrain.Il est dans ces déserts un toit rustique et sombre
Que la montagne seule abrite de son ombre,
Et dont les murs, battus par la pluie et les vents,
Portent leur âge écrit sous la mousse des ans.Sur le seuil désuni de trois marches de pierre
Le hasard a planté les racines d'un lierre
Qui, redoublant cent fois ses nœuds entrelacés,
Cache l'affront du temps sous ses bras élancés,Et, recourbant en arc sa volute rustique,
Fait le seul ornement du champêtre portique.
Un jardin qui descend au revers d'un coteau
Y présente au couchant son sable altéré d'eau;La pierre sans ciment, que l'hiver a noircie,
En borne tristement l'enceinte rétrécie;
La terre, que la bêche ouvre à chaque saison,
Y montre à nu son sein sans ombre et sans gazon;Ni tapis émaillés, ni cintres de verdure,
Ni ruisseau sous des bois, ni fraîcheur, ni murmure;
Seulement sept tilleuls par le soc oubliés,
Protégeant un peu d'herbe étendue à leurs pieds,Y versent dans l'automne une ombre tiède et rare,
D'autant plus douce au front sous un ciel plus avare;
Arbres dont le sommeil et des songes si beaux
Dans mon heureuse enfance habitaient les rameaux!Dans le champêtre enclos qui soupire après l'onde,
Un puits dans le rocher cache son eau profonde,
Où le vieillard qui puise, après de longs efforts,
Dépose en gémissant son urne sur les bords;Une aire où le fléau sur l'argile étendue
Bat à coups cadencés la gerbe répandue,
Où la blanche colombe et l'humble passereau
Se disputent l'épi qu'oublia le râteau :Et sur la terre épars des instruments rustiques,
Des jougs rompus, des chars dormant sous les portiques,
Des essieux dont l'ornière a brisé les rayons,
Et des socs émoussés qu'ont usés les sillons.Rien n'y console l'oeil de sa prison stérile,
Ni les dômes dorés d'une superbe ville,
Ni le chemin poudreux, ni le fleuve lointain,
Ni les toits blanchissants aux clartés du matin;Seulement, répandus de distance en distance,
De sauvages abris qu'habite l'indigence,
Le long d'étroits sentiers en désordre semés,
Montrent leur toit de chaume et leurs murs enfumés,Où le vieillard, assis au seuil de sa demeure,
Dans son berceau de jonc endort l'enfant qui pleure;
Enfin un sol sans ombre et des cieux sans couleur,
Et des vallons sans onde! - Et c'est là qu'est mon cœur!Ce sont là les séjours, les sites, les rivages
Dont mon âme attendrie évoque les images,
Et dont pendant les nuits mes songes les plus beaux
Pour enchanter mes yeux composent leurs tableaux!Là chaque heure du jour, chaque aspect des montagnes,
Chaque son qui le soir s'élève des campagnes,
Chaque mois qui revient, comme un pas des saisons,
Reverdir ou faner les bois ou les gazons,La lune qui décroît ou s'arrondit dans l'ombre,
L'étoile qui gravit sur la colline sombre,
Les troupeaux des hauts lieux chassés par les frimas,
Des coteaux aux vallons descendant pas à pas,Le vent, l'épine en fleurs, l'herbe verte ou flétrie,
Le soc dans le sillon, l'onde dans la prairie,
Tout m'y parle une langue aux intimes accents
Dont les mots, entendus dans l'âme et dans les sens,Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages,
Des rochers, des torrents, et ces douces images,
Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous,
Qu'un site nous conserve et qu'il nous rend plus doux.Là mon coeur en tout lieu se retrouve lui-même!
Tout s'y souvient de moi, tout m'y connaît, tout m'aime!
Mon oeil trouve un ami dans tout cet horizon,
Chaque arbre a son histoire et chaque pierre son nom.Qu'importe que ce nom, comme Thèbes ou Palmyre,
Ne nous rappelle pas les fastes d'un empire,
Le sang humain versé pour le choix des tyrans,
Ou ces fléaux de Dieu que l'homme appelle grands?Ce site où la pensée a rattaché sa trame,
Ces lieux encor' tout pleins des fastes de notre âme,
Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin
Où naquit, où tomba quelque empire incertain :Rien n'est vil! rien n'est grand! l'âme en est la mesure!
Un cœur palpite au nom de quelque humble masure,
Et sous les monuments des héros et des dieux
Le pasteur passe et siffle en détournant les yeux!Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père,
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère,
Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés
Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés,Ou qu’encor' palpitant des scènes de sa gloire,
De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire,
Et, plein du grand combat qu'il avait combattu,
En racontant sa vie enseignait la vertu!Voilà la place vide où ma mère à toute heure
Au plus léger soupir sortait de sa demeure,
Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain,
Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim;Voilà les toits de chaume où sa main attentive
Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive,
Ouvrait près du chevet des vieillards expirants
Ce livre où l'espérance est permise aux mourants,Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée,
Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée,
Et tenant par la main les plus jeunes de nous,
À la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux,Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières :
Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières!
Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait,
La branche du figuier que sa main abaissait,Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore
Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore,
Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur
Offrir deux purs encens, innocence et bonheur!C'est ici que sa voix pieuse et solennelle
Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle,
Et nous montrant l'épi dans son germe enfermé,
La grappe distillant son breuvage embaumé,La génisse en lait pur changeant le suc des plantes,
Le rocher qui s'entrouvre aux sources ruisselantes,
La laine des brebis dérobée aux rameaux
Servant à tapisser les doux nids des oiseaux,Et le soleil exact à ses douze demeures,
Partageant aux climats les saisons et les heures,
Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter,
Mondes où la pensée ose à peine monter,Nous enseignait la foi par la reconnaissance,
Et faisait admirer à notre simple enfance
Comment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux
Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux!Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries.
Là, mes sœurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux!Là, guidant les bergers aux sommets des collines,
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.Là, contre la fureur de l'aquilon rapide
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l'accord.Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil, où dans les jours d'automne,
Je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards!Tout est encor debout; tout renaît à sa place :
De nos pas sur le sable on suit encore la trace;
Rien ne manque à ces lieux qu'un coeur pour en jouir,
Mais, hélas! l'heure baisse et va s'évanouir.La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire,
Loin du champ paternel les enfants et la mère,
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers!Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques
Efface autour des murs les sentiers domestiques,
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil,
Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil;Bientôt peut-être...! écarte, ô mon Dieu! ce présage!
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l'or à la main, s'emparer de ces lieux
Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux,Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après!Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage!
Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage
Passe de mains en mains troqué contre un vil prix,
Comme le toit du vice ou le champ des proscrits!Qu'un avide étranger vienne d'un pied superbe
Fouler l'humble sillon de nos berceaux sur l'herbe,
Dépouiller l'orphelin, grossir, compter son or
Aux lieux où l'indigence avait seule un trésor,Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques
Où ma mère à nos voix enseignait tes cantiques!
Ah! que plutôt cent fois, aux vents abandonné,
Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné;Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines,
Sur les parvis brisés germent dans les ruines!
Que le lézard dormant s'y réchauffe au soleil,
Que Philomène y chante aux heures du sommeil,Que l'humble passereau, les colombes fidèles,
Y rassemblent en paix leurs petits sous leurs ailes,
Et que l'oiseau du ciel vienne bâtir son nid
Aux lieux où l'innocence eut autrefois son lit!Ah! si le nombre écrit sous l'oeil des destinées
Jusqu'aux cheveux blanchis prolonge mes années,
Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours
Parmi ces monuments de mes simples amours!Et quand ces toits bénis et ces tristes décombres
Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres,
Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux,
Tant d'êtres adorés disparus de mes yeux!Et vous, qui survivrez à ma cendre glacée,
Si vous voulez charmer ma dernière pensée,
Un jour, élevez-moi...! non! ne m'élevez rien!
Mais près des lieux où dort l'humble espoir du chrétien,Creusez-moi dans ces champs la couche que j'envie
Et ce dernier sillon où germe une autre vie!
Étendez sur ma tête un lit d'herbes des champs
Que l'agneau du hameau broute encore au printemps,Où l'oiseau, dont mes sœurs ont peuplé ces asiles,
Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles;
Là, pour marquer la place où vous m'allez coucher,
Roulez de la montagne un fragment de rocher;Que nul ciseau surtout ne le taille et n'efface
La mousse des vieux jours qui brunit sa surface,
Et d'hiver en hiver incrustée à ses flancs,
Donne en lettre vivante une date à ses ans!Point de siècle ou de nom sur cette agreste page!
Devant l'éternité tout siècle est du même âge,
Et celui dont la voix réveille le trépas
Au défaut d'un vain nom ne nous oubliera pas!Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres,
Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres,
Plus près du sol natal, de l'air et du soleil,
D'un sommeil plus léger j'attendrai le réveil!Là, ma cendre, mêlée à la terre qui m'aime,
Retrouvera la vie avant mon esprit même,
Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs,
Boira des nuits d'été les parfums et les pleurs;Et quand du jour sans soir la première étincelle
Viendra m'y réveiller pour l'aurore éternelle,
En ouvrant mes regards je reverrai des lieux
Adorés de mon cœur et connus de mes yeux,Les pierres du hameau, le clocher, la montagne,
Le lit sec du torrent et l'aride campagne;
Et, rassemblant de l'oeil tous les êtres chéris
Dont l'ombre près de moi dormait sous ces débris,Avec des sœurs, un père et l'âme d'une mère,
Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre,
Comme le passager qui des vagues descend
Jette encore au navire un œil reconnaissant,Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes
L'adieu, le seul adieu qui n'aura point de larmes!Alphonse de Lamartine XIX siècle
Pour ceux qui aiment la poésie et Alphonse De Lamartine, (poète romantique), je vous souhaite bon courage! Vous me direz si vous avez été jusqu'au bout du poème. C'est le plus long que je connaisse. (sourire).
Milly ou la terre natale (Objets inanimés avez-vous donc une âme ...)
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Les cygnes blancs,
Les cygnes blancs, dans les canaux des villes mortes,
Parmi l’eau pâle où les vieux murs sont décalqués
Avec des noirs usés d’estampes et d’eaux fortes,
Les cygnes vont comme du songe entre les quais.Et le soir, sur les eaux doucement remuées,
Ces cygnes imprévus, venant on ne sait d’où,
Dans un chemin lacté d’astres et de nuées
Mangent des fleurs de lune en allongeant le cou.Or ces cygnes, ce sont des âmes de naguères
Qui n’ont vécu qu’à peine et renaîtront plus tard,
Poètes s’apprenant aux silences de l’art,
Qui s’épurent encore en ces blancs sanctuaires,Poètes décédés enfants, sans avoir pu
Fleurir avec des pleurs une gloire et des nimbes,
Ames qui reprendront leur oeuvre interrompu
Et demeurent dans ces canaux comme en des limbes !Mais les cygnes royaux sentant la mort venir
Se mettront à chanter parmi ces eaux plaintives
Et leur voix presque humaine ira meurtrir les rives
D’un air de commencer plutôt que de finir…Car dans votre agonie, ô grands oiseaux insignes,
Ce qui chante déjà c’est l’âme s’évadant
D’enfants-poètes qui vont revivre en gardant
Quelque chose de vous, les ancêtres, les cygnesGEORGES RODENBACH
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